Petit point rapide sur les milices Flamandes :
Chaque grande commune avait sous sa dépendance de nombreuses petites villes. Gand commandait à Grammont et aux Quatre-Métiers, Bruges à Dam, l’Ecluse et Ardembourg, Ypres à Nieuport. Les petites communes doivent le service militaire aux grandes qui les convoquent et les conduisent au combat. Les 5 grandes communes, Gand, Bruges, Ypres, Lille et Douai, forment avec des députés de leurs échevinages un tribunal chargé des intérêts communs avec les villes dépendantes. En 1257, Ypres compte 40.000 habitants intra muros mais elle est entourée de vastes faubourgs. Pour une campagne telle que Bouvines les communes sont astreintes à mettre sur pied une sorte de Landwehr composée de tout homme capable de porter les armes, c'est-à-dire tout citoyen âgé de 15 ans minimum et 60 maximum : tous doivent le service militaire. Ils sont inscrits comme « Manswaert » sur les rôles militaires. Le 14/04/1127 la Keure de St Omer précise : « ne jamais s’engager en expédition, sauf si un ennemi envahit la terre de Flandres ; dans ce cas j’ai le devoir de défendre ma terre ». Celles de Bruxelles en 1229 : « tout citoyen âgé de 15 ans doit jurer ladite keure ». Toute commune investie d’une charte est considérée comme un grand vassal du comte de Flandres et à ce titre doit le service militaire. Tout manquement provoque la déchéance de la commune (en 1179 le comte de Flandres Philippe d’Alsace prononce pour ce motif la déchéance de la ville d’Hesdin. En 1281 Bruges subit le même sort). Douai passe aux Français lors de la campagne de Bouvines. Il lui faudra attendre 1226 pour que le comte et la comtesse de Flandres lui accordent une amnistie : « faisons savoir que nous, … avons délaissiet tout le ire et le mal volente sil i en a eu aucune as bourgois de Douai pour che que en la guerre eue entre le noble Roi de France no seigneur et nous ont été de la partie du dit Roi » (archives de Douai). A partir de la fin du XIIIème plusieurs ordres de marche sont connus pour plusieurs grandes communes et leurs subordonnées.
Quid des effectifs ?
Au début du XIIIème siècle la Flandre est une région particulièrement prospère. En 1183, Guillaume Le Breton parle d’une levée de 20.000 fantassins Gantois. En fait, il n’y a probablement pas que des Gantois. En effet, lors du même conflit Philippe d’Alsace est à la tête de 40.000 miliciens des communes Flamandes (Gand, Ypres, Dam, Lille, St Omer, Hesdin, Gravelines, Bapaume, Douai) sans compter les contingents de 9 autres communes et de 3 vassaux. En 1184, lors d’un conflit avec le comte de Hainaut le comte de Flandre lève une armée de 40.000 fantassins et 500 chevaliers. En 1194, le comte de Hainaut aligne 10.000 fantassins, 140 chevaliers et 200 sergents à cheval lors de sa querelle avec le comte de Brabant.
En 1194, le duc de Brabant, en conflit avec le Hainaut, lève une armée dont les alliances sont approximativement les mêmes qu’à Bouvines : les comtes de Hollandes, de Namur, de Juliers, le duc de Limbourg et leurs alliés respectifs. Cette armée compte 20.000 fantassins. En 1213, momentanément allié à Philippe, le duc lui promet l’appui de ses 4 grandes communes : Louvain, Bruxelles, Nivelle et Tirlemont (art 4 du traité). L’organisation est la même qu’en Flandres chacune de ces communes est suivie par de nombreuses entités : communes plus petites ou territoires. Les troupes de Bruxelles sont menées en campagne par 4 échevins. En 1213, à Steppes (7200 ?) plusieurs milliers de fantassins Brabançons (essentiellement des miliciens urbains) et de nombreux chevaliers tombent sous les coups des troupes de l’évêque de Lièges : Gilles d’Orval affirme que la ville de Louvain est plongée dans le deuil. Tant que nous parlons de Lièges, le prince évêque de cette principauté refuse d’appuyer l’armée coalisée : il œuvre même pour Philippe II qui appuie officiellement le pape Innocent III. Ainsi le prince évêque menace les nobles d’entre Rhin et Flandres d’aller attaquer leurs domaines s’ils prennent le parti des coalisés. Il achète le comte de Looz et le duc de Brabant pour 2 alleuds. Une charte de 1071 précise que le titulaire de l’évêché de Lièges s’engage à fournir au comte de Hainaut 500 chevaliers pendant 40 jours, 3 fois par an. Lors de la bataille de Steppes le prince Evêque aligne au moins 4.000 piétons contre le Duc de Brabant alors que sa ville a été ravagée l’année d’avant par les troupes du duc de Brabant (cf. l’article sur le sujet déjà sur le forum).
Après cette parenthèse sur Lièges revenons à notre sujet : les milices urbaines Flamandes sont-elles présentes en force à Bouvines.
Guillaume Le Breton dit qu’il n’y a pas une ferme Flamande qui n’eut fourni son contingent, et que les effectifs de Flandres à eux seuls dépassent ceux de l’armée de Philippe II.
A Bouvines, l’aile gauche d’Othon est composée de la cavalerie Flamande. Or, on sait que les cavaliers ne se déplacent pas sans piétons. D’ailleurs Guillaume Le Breton parle de la présence des contingents d’Ypres, de Gand, de Lille, de Gravelines, de Furnes, de Bruges, d’Audenarde, de Courtray ainsi que des populations littorales néerlandaises connues sous le nom d’Isengrins et de Blavotins. Dans le texte :
«
Et quis sub numero comprendere possit Yprei
Agminis, examen, acierum multiplicata
Millia, quae portis vomuit Gandavus apertis ;
Belga quot et rabies Bloetina, quot Insula turmas
Mittat, Isengrinus que furor ; Gravelinga quot addat
Agmina cum Furnis ; quot Brugia millibus agros
Contegat armatis, aut Audenarda propinquo
Viribus atque fide Cortreio consociata ».
Dès décembre 1213, Ferrant s’engage par un traité avec Jean Sans Terre à fournir à la coalition ses milices communales de Flandres et de Hainaut (Wauters : table des chartes T III décembre 1213- Août 1214). D’après les dires de Guillaume Le Breton, Ferrant a tenu parole…
La cavalerie des milices urbaines semble peu nombreuse mais correctement équipée : les règlements sur le sujet sont très clairs et fonction des revenus des habitants. Ainsi à Bruges, tout bourgeois qui possède plus de :
- 3.000 livres doit avoir un cheval de 40 livres (taux de change local ??)
- 2.000 ……………………………. 30 …….
- 1.000 ……………………………. 20 …….
- 500 à 900 .………………………. 16 …….
- 300 à 500 .………………………. 10 …….
D’après des études de ces registres Bruges (au sens large) aurait été capable de fournir 1.000 cavaliers.
Ci-joint un complément d’info un peu tardif issu des archives de Douai (1252) : «
Bans quant li ville [de Douai] doit aller en ost. Art 3 : que tout li borgois de ceste vile soient si warnit de leurs armures et de leurs chevaus et de leur arnas, et cil a pié et cil a keval… Art 9 : Et que tout li bourgois de ceste ville ki ont vaillant CCC l de Parisis… qui il soient pourveu de keval d’armures et que il laient apareillie pour aller en ost quant li eschevin et li vile mouveront ».
Mathieu Paris précise qu’Othon n’apporte qu’un très maigre contingent de chevaliers à Bouvines. A tel point que les Flamands lui fournissent miliciens et cavalerie…
En conclusion, je dirais qu’il ne semble absolument pas irréaliste de parler de plus de 40.000 miliciens urbains issus des grandes villes de Flandres, du Hainaut et du Brabant : pour Bouvines et après la campagne française dévastatrice de l’année précédente, les comtes de Flandres ont dû lever toutes les troupes disponibles.
Désolé les coalisés, il va falloir supporter les pouilleux dans vos rangs car la réalité des fantassins devait aller de l’équipement le plus simple au plus complet selon la richesse de chacun et de sa ville, même dans vos rangs...