Chronique de Frère Richer

Extrait de la chronique de Frère Richer (Texte complet latin Français ancien).
Proposition de traduction en Français Moderne par Caroline Bauer.

Alors que l’Empereur Othon s’était retiré en Basse-Allemagne, et notamment à Brunswick, le roi d’Angleterre était en guerre contre le roi de France à cause d’un territoire que ce dernier lui avait pris, non sans raisons.

De ce fait le roi d’Angleterre demanda à Otton, qui avait rassemblé nombre de gens d’armes, de lui venir en aide, d’autant plus qu’il prévoyait d’entrer au Royaume de France par la force des armes; En effet, l’Empereur Otton serait pour lui un allié particulièrement précieux. Ledit Empereur lui répondit que du coté Anglais il le laisserait entrer en France tandis que lui et ses troupes ruinerait ce royaume du coté Germanique.

En Flandre, il y avait un comte, nommé Ferrand, qui avait épousé la cousine germaine du Roi Philippe, Jeanne; celui-là la battait et la traitait fort injustement, ce dont elle vint se plaindre à son cousin le Roi de France. Il menaça alors durement Ferrand, lui rappelant qu’il ne lui avait pas confié le comté de Flandres pour qu’il tourmenta ainsi sans respect sa cousine.

Le Comtes s’offusquant des menaces du Roi, pris avec lui, le Comte de Boulogne et des amis à lui issus du Royaume de France, se présenta à l’Empereur Otton, et traita de l’expédition que l’Empereur lui-même avait décidé de mener, et lui jura qu’une fois celui-ci parvenu à Paris, il le proclamerait Roi. Ayant donc conclu un tel pacte entre eux, l’Empereur Othon et le comte Ferrand ainsi que tous les autres comtes et barons qui avaient juré d’entrer en France, divisaient et partageaient déjà les cités, comtés et autres forteresses de France, avant qu’ils ne les aient prises.

Ayant donc rassemblé grand nombre de soldats, l’Empereur informa au Roi de France qu’il a juré de ne pas retourner en Allemagne tant que Paris ne sera pas assiégé et que le reste du royaume ne sera pas distribué à ses barons, places par places. Le Roi de France, ému de telles nouvelles, réclama des troupes au duc de Bourgogne et aux comtes de Normandie et Bretagne, et de toutes parts qu’il pu il fit amas de gens d’armes.

Il mit Louis, son fils, là où le Roi d’Angleterre devait assaillir, assisté de bon nombre de soldats, et quand à lui, il délibéra de s’opposer à l’Empereur Otton. Ainsi, faisant marcher son armée, il vient à planter son camp en la plaine de Valencienne, près d’un pont que l’on dit : "Bouvines" ; Son armée fut estimée à 9000 Hommes à cheval et 50 000 piétons. L’Empereur vint jusqu’au même lieu et y planta ses tentes, son armée fut comptée à 25 000 de chevaux, et 80 000 d’autres gens d’armes, avec une multitude infinie de charrettes chargés de munitions, vivres et armures. Les Allemands avaient amenés beaucoup de charrettes chargées de cordes pour lier les français, car il pensaient déjà les tenir captifs.

Vint le jour du dimanche, auquel tous les fidèles chrétiens doivent vaquer au service de Dieu. Mais le comte Ferrand voyant que l’armée du Roi de France était si petite, pensait que le plus possible de combattant devait s’associer avec lui pour monter à l’assault. Ainsi il mit en tête à l’Empereur qu’en ce jour de dimanche, la bataille se ferait contre le roi, et que la multitude de leur armée écraserait facilement et rapidement le peu de soldat du Roi de France. Ainsi expédié, ils pourraient laisser le royaume de France au Roi d’Angleterre, pour le ruiner à volonté; Mais par le secours divin le projet tourna autrement. L’Empereur envoya des messagers au Roi, pour qu’il puisse se préparer à la guerre ; mais le Roi donnant priorité à Dieu et au culte du dimanche, demanda à repousser le jour de la bataille au lendemain. Devant cette réponse, le Comte Ferrand dit que le Roi de France repoussait la bataille parce qu’il attendait des renforts en grand secours, ou que, par crainte, il préparait sa fuite durant la nuit. L’Empereur donnant foi à ses propos et voulut qu’en ce jour même on fit la guerre;

Le Roi de France ayant rassemblé les chefs et capitaines de son armée, et se tenant debout au lieu le plus éminent, leur fit tel ou semblable discours :

"Oh vaillants chevaliers, fleur de la France, honneur de la couronne royale, nous avons choisi en ce jour de dimanche de seulement servir, honorer et prier Dieu. Mais l’ennemis nous contraignant à la bataille, ces choses ne nous sont pas permises. Vous voyez maintenant que je porte la couronne du royaume, mais cela n’empêche que je suis un homme comme vous et que je ne pourrais la porter que si vous me soutenez. Je suis Roi".

Et ôtant la couronne de dessus sa tête, la présenta à eux disant :

"Voici, je veux que chacun d’entre vous soit fait Roi, comme vous le mériteriez, car le devoir du Roi est de gouverner, et cela n’est possible que grâce à vous, je ne pourrais le faire seul, et quant à ceux qui sont venus pour nous contenir, ils se fient qu’à leurs propres forces, ne cherchant pas seulement à nous capturer mais aussi à occuper tout le royaume de France. Or aujourd’hui , je sais et crois vraiment que le bienheureux St Denis, notre Patron, digne de souvenir éternelle et ses glorieux compagnons interpellent et implorent le Fils très miséricordieux de Dieu avec d’innombrables gémissements pour nous et pour l’état de notre royaume, contre le projet de nos adversaires.

En avant, soyez hommes courageux, et combattez contre ces gens maudits, car avec certitude, aujourd’hui, notre Seigneur les livrera dans nos mains, et ils ne pourront se prémunir contre nous. Les ayant affronté avec joie et victoire, vous retournerez dans vos foyers, avec vos femmes et filles, lesquelles ils ont voulu ravir.

De plus, je défends à tous [manants/porteurs] et piétons , sur peine de pendaison, de ne recueillir aucune dépouille des ennemis (et de ce fait, il avait fait dresser plusieurs potences pour cela). Et si Dieu nous accorde la victoire, tout ce que chacun pourra receuillir des dépouilles, il pourra le tenir pour siens avec notre permission. Mais si pendant la bataille quelqu’un a besoin d’un cheval, il pourra dérober celui de son adversaire."

A ces mots, tous d’une voix affirmèrent que volontiers ils obéiront à l’éxortation du Roi. Or le Roi avait apporté de Paris la bannière de Charlemagne que l’on nommait Oriflamme, qui n’avait jamais été à la guerre depuis le temps du dit Charlemagne; Le Roi la brandissant hautement s’écria, disant : "Qui est celui d’entre vous, qui aujourd’hui durant l’assault portera cette bannière, honneur de notre France !"

Auquel le duc de Bourgogne répondit, disant : "Sire, je connais un chevalier ici, fort de corps et de coeur, et bien appris à l’exercice des armes, mais de pauvre condition, nommé Galon, qui pour le désir qu’il avait d’assister à cette bataille a engagé toute sa terre pour un seul cheval. Si vous avez des difficultés à choisir un porteur, confiez la à celui-ci."

Le Roi appelant Galon et lui présentant la bannière dit : "Tiens mon ami Galon, aujourd’hui je te confis l’honneur de tout le Royaume Français !"

Auquel Galon répondit : "Que suis-je donc, O Sire, pour faire cela ?"

"Ne crains pas", dit le Roi, car si avec l’aide de Dieu nous obtenons victoire, je répondrais largement à ton labeur. Et ainsi Galon prenant coeur, honnêtement dit : "Sire, puisque vos commandements m’y contraignent, je tâcherais d’accomplir votre volonté, et à ce que je vois, cette oriflamme a soif du sang humain, aujourd’hui Dieu me conduisant à la vue de beaucoup, je lui ferrais boire le sang de nos adversaires."

Le Roi considérant que les rayons du soleil éblouissaient les yeux de ses hommes, décida qu’il fallait lui tourner le dos, ce qu’ils firent; mais les adversaires n’ayant que peu d’égard à cela, s’opposèrent à la lueur du soleil. Le Roi de France ordonna que ses trompettes, qu’il avait en grand nombre, se tinrent à la queue de l’armée et qu’au premier assault elles sonneraient de toute force.

Pendant ce temps, voici un grand bruit qui se propageait du coté des adversaires, s’exhortant l’un l’autre à la bataille. Les trompettes du Roi de France commencèrent tellement à résonner que la terre semblait trembler sous leurs pieds, de telle sorte que les adversaires en furent grandement effrayés.

Ferrand, comte de Flandre, voulant se montrer le plus hardie devant tous les autres, donna des éperons à son cheval et empoigna son écu, séparé de la troupe, galopa à bride abattue jusqu’au camp de ses ennemies. Le chevalier Galon qui portait l’Oriflamme du Roi de France, l’ayant aperçu et voulant l’aborder avec violence, abaissa son enseigne, lui transperça le bas du dos, de sorte que de l’autre coté l’enseigne apparaissait toute teinte de sang, et le désarçonna puis retira l’enseigne de lui.

Et ainsi comme il avait prédit, il arrosa l’Oriflamme de sang, comme beaucoup de fois encore par la suite.

Deux [serfs/bouseux/"boueux"] ayant aperçu le comte Ferrand par terre, le prirent au collet, de sorte que l’un d’eux ayant levé le dessus de son harnois, le frappa si rudement d’un coutelas que les deux hanches en étaient percées, et l’autre le blessa bien fort entre les épaules; toutefois étant protégé dans sa cuirasse, il survécut, et fut rendu au Roi de France, qui le confia à sa garde.

Or, les Allemands arrivant de toute part, se comportèrent virilement comme ils en ont coutume, et plusieurs d’entre eux, furent jetés à terre par les Français et y laissèrent la vie, les uns par la lance, et les autres tranchés au coutelas, et leurs âmes furent envoyées en Enfer là où ils avaient rendez-vous.

L’Empereur Otton voyant que l’avant garde de son armée s’affaiblissait, encourageait le reste à la bataille, se fiant seulement à la multitude de ces hommes.

D’autre part, le Roi de France et les siens imploraient Dieu et le glorieux St Denis de venir à leur aide. Galon, le porte enseigne du Roi, voyant l’Empereur avec son armée, se remis à Dieu et invoqua le très heureux St Denis, il ne pu alors se contenir davantage et donna de forts coups d’éperons à son cheval, élevant son enseigne et galopa avec impétuosité, il entra dans l’épaisseur de l’armée et la divisa en deux, et parvint jusqu’à l’arrière garde où l’Empereur était. Il fut suivis du duc de Bourgogne, des comtes de Normandie et Bretagne avec les leurs et plusieurs autres chevaliers.

Or, un noble chevalier, nommé Enguerrand de Coucy, apercevant l’Empereur de loin, donna des éperons à son cheval et fonça droit devant, et abaissant sa lance le désarçonna;

En ce même instant, le cheval du Roi de Francer, blessé a un pied, fit un écart si sec, que le Roir perdit un étrier et ainsi tomba, tous ceux qui le virent s’écrièrent à haute voix : "Courrez, courrez vers le Roir, car il est tombé à terre". Les chevaliers qui tenaient l’Empereurr, et pensaient l’amener captif au Roir, entendirent le bruit des soldats, et délaissèrent l’Empereurr, et accoururent rapidement devant le Roir, qui fut déjà remonté à cheval et extrêmement indigné que l’Empereurr fut laissé échappé. Ainsi fendant de nouveau l’armée par le maniement de leur lance, pensant le rattraper, ils ne purent atteindre l’Empereurr car il avait pris la fuite. Ayant donc seulement reconnu celui qui avait relevé l’Empereurr, ils le firent mener au Roi avec plusieurs autres combattants. Le tant renommé Galonr, porte enseigne, avec beaucoup d’autres chevaliers, suivirent l’Empereurr sur de longue distance, mais ils ne purent jamais l’attraper.

En revenant, reprenant leur position, tous les fuyards qu’ils rencontraient, ils les tuèrent, sauf les plus distingués qui furent envoyé captif au Roi, tandis que ceux qu’ils voyaient blessé ou qui ne pouvaient fuir, ils les laissèrent livrer à leur sinistre destin.

Et arrivant au lieu où avait été livré la bataille, ils trouvèrent une partie des Français en train de dépouiller les corps morts des Allemands, une partie en train de lier les serfs qui avaient amené les cordes avec lesquelles ils furent eux même garrotté, pensant garrotter les Français; une partie reccueuillaient les pavillons des Allemands, une partie divisaient du bétail qu’ils avaient trouvé.

C’est ainsi que le Roi de France, avec le petit nombre de son armée, surmonta et vainquit la grande multitude de l’armée de l’Empereur Otton, et ses traitres d’associés.

Entre autres furent pris : les comtes de Flandre et de Boulogne, ainsi que plusieurs chevaliers et autres soldats qui, au préjudice de leur Roi, avaient quitté la France pour aller au secours de l’Empereur Otton avec les comtes susnommés.

Tous ceux ci furent garrotté et mené en France , où ils furent emprisonné. Ainsi, le Roi de France et son ost, chargés et revêtus d’un butin précieux, excepté un chevalier et un soldat de nom qui moururent au combat, prospérèrent, retournèrent au royaume de France. L’on fit compte de 30 000 hommes, morts ou captifs, de l’armée de l’Empereur Otton, qui étant parvenu dans la ville de Brundsvich, fut remplis d’une telle douleur et d’une telle tristesse, qu’étant couché au lit, ne vécut que bien peu de jours.

Toutefois, vivant encore, il fit jurer à quelqu’uns de ses amis, que sitôt qu’il aurait expiré, ils feraient brûler son corps et le porteraient à Rome, pour le présenter au pape, afin que par ce bénéfice, il put obtenir la grâce et l’absolution; car il était excommunié. Je ne sais s’il l’obtint ou non. Or, le Roi d’Angleterre qui désirait commencer à envahir le royaume de France, ayant su la victoire du Roi Philippe sur l’Empereur Otton et les Allemands, comme une écrevisse recula, et montant dans ses navires, et retourna en Angleterre.

D’autre part, Louis, fils du Roi de France, avec les siens retourna à Paris pour saluer son père, qui était arrivé avec les principaux de la Cour, instituèrent et passèrent plusieurs jours de fêtes en l’honneur de Dieu et rendirent affectueusement grâce à Saint Denis, comme le fit tout le peuple avec grande réjouissance.

Ainsi , Dieu tout puissant ne cesse de porter secours à ceux qui le craignent bonnement.