Certaines questions posées par Yvan, ayant trait à la démarche préalable à la reconsitution d'un personnage de Bouvines, j'ouvre ce post consacré à ce thème et je rebondis sur les questions posées par Yvan dans le post du duc de Bourgogne.
Cette question des signes extérieurs d'appartenance à un statut social est bien une des choses les plus difficile à déterminer en effet. Pour donner un exemple très simple, c'est cette nécessité qui nous a fait adopter dans le cahier des charges des heaumes à facial pour les ducs, comtes, chevaliers, mais des heaumes fermés pour le roi et l'empereur.
Après, il est évident que nous sommes contraints à des extrapolations. Quel que soit l'équipement considéré, l'étude des sources montre au mieux un semblant de règle générale, qui se trouve battu en brèche par des séries de cas particuliers, ce qui nous a amenés à la conclusion qu'une certaine forme de diversité s'imposait si on voulait tout de même obtenir un reflet de cette variété attestée dans les sources.
Yvan, tu sais bien que les sources manquent cruellement pour cette période, et qu'il est des plus difficile d'établir alors une composition qui reste dans le domaine du réalisme probable. Le recours aux extrapolations est donc inévitable à condition qu'il demeure dans certaine limites. Après, tous les raisonnements, toutes les questions sont possibles ! Entre autre :
on allait à la guerre pour se battre, pas pour parader, donc les équipements étaient avant tout efficaces et pas spectaculaires.
on allait à la guerre pour SE montrer aussi et donc exhiber des équipements nouveaux, voire hors du commun
si les houssures sont considérées comme un système de protection avant tout, alors tous les cavaliers peuvent en avoir
- si les houssures sont des signes extérieurs de richesse, alors seuls les hauts statuts en auront
avoir un heaume fermé est-il un signe de modernité ?
Un duc avec un nasal sera-t-il has been ?
Ce ne sont pas des exemples de questions auxquelles il faut trouver une réponse, parce que je pense qu'il n'y en a pas, du moins pas accessible ou perceptible à travers les sources, à moins de se lancer dans des études extrêmement pointues tant du point de vue chronologique, que géographique et stylistique (et quand bien même, cela resterait une étude d'objets par laquelle seules quelques bribes de la mentalité de l'époque nous parviendraient).
La reconstitution de chaque haut personnage du projet de Bouvines est laissée assez libre car justement nous pensons qu'une partie du travail ne peut résulter que de la perception personnelle du reconstituteur, ce qui est terriblement subjectif. C'est le cas pour Otton, comme pour Philippe Auguste (dont je laisserai Isarn parler s'il le souhaite).
Dans le cas du premier personnage, certains postulats de départ sont simples :
c'est un empereur, roi de Rome, aux origines anglaises (petit fils d'Henri II et d'Aliénor d'Aquitaine)
du Saint Empire Romain Germanique, donc d'une zone géographique en partie marquée par la culture carolingienne mais aussi par Byzance.
sa situation politique est délicate ayant été couronné par le pape puis ensuite destitué. Il est donc en partie illégitime (je dis en partie parce que la situation est tout de même particulière avec deux empereurs qui se disputent la fonction suprême).
il y a des artefacts liés à la personne d'Otton, l'épée du sacre, le manteau du sacre...
en face de lui, il y a un roi ...de France (situé dans un contexte politique bien spécifique lui aussi).
Tout ceci, ajouté au fait que nous voulions obtenir un effet visuel bien identificateur, a permis d'élaborer un costume et des équipements. Certains choix peuvent être contestables, je te l'accorde. Tu parles ainsi de la cotte « outrageusement brodée d'Otton »....adverbe que je trouve un peu abusif en l'occurrence...Alors je m'explique.
La cotte de soie pourpre est là pour rappeler la couleur impériale romaine. Les médaillons brodés – qui ne sont que des décorations mais pas des armoiries – reprennent le motif des aigles du manteau d'Otton et leur disposition en forme de bande fait référence aux décorations typiques des cottes et des manteaux de l'époque dans cette région. On y retrouve d'ailleurs là une profonde influence byzantine qui persiste longtemps. Et il n'est pas dit que la cotte restera avec ces seules décorations. Comme nous sommes dans une période de transition pour laquelle il est difficile de déterminer si les cottes étaient armoriées ou non, nous avons fait le choix de ne pas « militariser « ce vêtement, pour ne pas tomber dans le classique ensemble écu – cotte- houssure armoriés que nous considérons comme plus spécifique à la période suivante.
Le heaume à aigles ne fait que reprendre la thématique des couronnes qui figurent sur certaines enluminures. Là on peut discuter à l'infini du bien fondé de l'existence de ces symboles sur le champ de bataille. Est-une un procédé de l'enlumineur pour désigner plus lisiblement un roi ? Est-ce une réalité ? Dans notre optique de rendre « visibles » les différences de statut, nous avons donc choisi de faire figurer des décorations qui rappelaient le Saint Empire, et non pas une couronne impériale.
La houssure présentera un lien avec la filiation et les prétentions politique d'Otton. Elle portera les armoiries d'Angleterre et l'aigle impérial (en cela, l'épée du sacre d'Otton nous a inspirés, puisque ce sont les armoiries qui figurent sur son pommeau).
Ensuite, la bannière impériale accompagnera celle du Saint-Empire (là on reste dans le classique).
L'épée, je n'en parle pas, car c'est en gestation... L'écu reproduira une source allemande dans sa technique de fabrication. Le haubert restera classique, car nous pensons que celui en or fait un peu... outrancier.
Dans l'ensemble, nous allons obtenir un personnage qui sera assez bien typé zone germanique et qui se situera aussi en opposition par rapport au roi de France (les deux personnages en question sont d'ailleurs conçus de concert pour mieux marquer les différences, tant esthétiques que techniques).
Pour le reste, c'est la qualité des matériaux, le choix des décorations qui à notre avis va matérialiser le statut élevé du personnage. Et là, force est de nous inspirer de ce dont témoignent les quelques sources encore disponibles. Mais nous avons toujours eu à l'esprit de composer un personnage possible qui ne résulte pas d'une accumulation d'éléments, mais plutôt d'une association d'éléments complémentaires, dans le cadre d'une démarche. C'est la raison pour laquelle la progression est si lente. Alors bien sûr, l'empereur qui sera à Bouvines ne correspondra sans doute à l'idée que les autres membres du collectif s'en font. Pas plus qu'il n'aura la prétention de vouloir représenter la réalité. Tout au plus, espérons-nous en faire un personnage crédible dans un contexte historique précis.
Voilà...c'est un peu long, mais j'espère avoir répondu à tes interrogations...Une dernière remarque concernant la chronique de Mousket...Ton Philippe Auguste, tu ne le trouves pas un peu con-con de ne pas être capable de reconnaître l'aigle impérial ? ...Moi si...je veux simplement dire que pour moi le texte n'est pas à prendre au pied de la lettre. On peut dire ce que l'on veut, mais la chronique rimée obéit tout de même à des règles précises qui font que le contenu est souvent adapté pour coller aux impératifs de la forme. J'en tire simplement comme conclusion qu'il faut croiser les sources de toute nature. Et c'est ce que nous avons fait pour Otton.
Comme tu ouvres un débat qui me semble intéressant, je propose que chacun des cavaliers reconstituant un personnage important expose sa démarche et ses choix. Après tout, cela peut intéresser tout le monde !