Les 7 formations décrites par Alphonse sont :
La haie
Les troupes alignées sur un front reçoivent le nom de haz (acies, ligne de bataille). Cette tactique, comme bien d’autres, est héritée du Romain Végèce qui numérote les corps de troupes en commençant par la droite (on pratique de même aux XIIème et XIIIème siècles). Si dans l’antiquité c’est à l’aile droite que revient le rôle principal, il n’en est pas de même pour la période qui nous intéresse, où la stratégie est adaptée aux besoins. Cette manière de placer les troupes est surtout utilisée pour impressionner l’adversaire en lui donnant la sensation de supériorité numérique. Par contre, si la supériorité numérique est réelle, cela facilite l’encerclement. Autre avantage, les lignes se soutiennent mutuellement : si la première est enfoncée, la seconde peut l’assister. C’est ainsi que sont placées les troupes Liégeoises au début de la bataille de Steppes en 1213. Lors de cette bataille, tandis que les Brabançons chargent furieusement les milices Liégeoises, leur chef Thierry de Walcourt donne l’ordre à ses hommes de n’ouvrir les rangs sous aucun prétexte même pour laisser passer leur propre cavalerie ! Et ce, afin d’éviter que les Brabançons n’en profitent. Il semble que cette disposition soit la favorite des milices flamandes. Par contre, si elle permet d’offrir un front impressionnant et robuste, elle manque de mobilité et n’offre pas ou peu de passages aux cavaliers pour se replier (afin de se reposer entre deux charges) ou venir soutenir les piétons. Lors de la bataille de Bouvines, le fait d’avoir des intervalles entre les unités aurait permis aux troupes Françaises de voler au secours de Philippe II qui a été désarçonné.
Par contre, ces passages doivent faire l’objet de toutes les attentions car ils sont aussi des points faibles… Les ailes, dont nous reparlerons, doivent probablement y être très vigilantes (j’avoue qu’à titre personnel cette histoire d’intervalle me chagrine, quand nous serons 500 ou 600 fantassins avec une trentaine de cavaliers pour reconstituer Bouvines il faudra faire un essai !!!).
Le cercle
Les troupes placées en cercle sont appelées Muela (la meule), Végèce l’appelle Orbis. Cette formation est utile lorsque l’on craint d’être attaqué de tous côtés. Cette tactique, appelée hérisson en France, inspire Renaud de Dammartin qui l’utilise lors de la bataille de Bouvines afin de protéger ses cavaliers entre deux charges.
En 1191 à Bombrac, cette technique est déjà utilisée. Au XIVème, on trouve encore des
exemples de ce type de formation. Le cercle présente l’avantage de ne pas offrir d’angle mort. De plus l’adversaire doit être en nombre suffisant pour maintenir une pression efficace afin d’empêcher toute sortie de la cavalerie qui s’y replie. Sans quoi les cavaliers réfugiés au centre du cercle choisissent le bon moment et le bon endroit pour faire leur sortie. Le but est de soutenir les piétons du cercle en attaquant les cavaliers adverses qui viennent d’échouer contre la formation de piquiers. Ils sont alors ralentis et font des cibles plus vulnérables aux armes de trait et à la cavalerie qui sort du cercle au grand galop. Parfois, ils chargent contre les piétons adverses s’ils exercent une pression trop forte sur le cercle. Si les cavaliers ennemis échouent à briser le cercle, on lance alors une attaque massive de piétons qui tentent d’ouvrir une brèche dans laquelle la cavalerie s’engouffre pour atteindre les cavaliers qui y sont réfugiés, cette manœuvre permet aussi de briser la cohésion des fantassins qui forment le cercle.
Lors de la bataille de Jaffa, Richard résiste durant des heures aux attaques de Salah ed Din, bien que lui et ses troupes soient surpris en plein sommeil… A tel point que les hommes ont à peine le temps de s’équiper et souvent que partiellement. Néanmoins, ils se forment en cercle en pleine urgence : cela signifie donc qu’ils connaissent la manœuvre à la perfection pour l’exécuter avec autant de célérité dans de telles conditions. A priori, ces fantassins présents à Jaffa comportent une forte proportion de Gênois et de Pisans, ce qui n’est pas sensé faciliter les choses (langues différentes Italien / Anglais)…
Autre solution si le terrain le permet : on cache une partie de la cavalerie en réserve tandis que l’autre attaque le cercle avant de simuler une fuite. Au moment où la cavalerie du cercle s’éloigne de son abri, son adversaire de réserve vient lui couper l’accès à sa retraite et les fuyards font brusquement demi-tour (manœuvre de volte). Les piétons du cercle se retrouvent alors sans cavalerie de protection. Mais un cercle de piétons n’est pas pour autant facile à détruire. Ainsi le sire de St Valéry utilisera des piétons et des cavaliers pour détruire le hérisson de Dammartin au soir de la bataille de Bouvines. En 1124 le royaume de Jérusalem lutte pour sa survie. Tous les effectifs sont requis à la défense des frontières. La sécurité de Jérusalem repose uniquement sur sa milice bourgeoise. Depuis Ascalon, les Egyptiens lancent une opération éclaire avec une troupe de cavaliers sans fantassins mais leur ruse est éventée. A leur arrivée, ils trouvent la population mâle prête au combat sous les murs de la ville. Pendant 3 heures, les deux troupes restent en présence. La milice n’ose pas passer à l’offensive faute de cavaliers tandis que les Egyptiens n’osent pas attaquer cette troupe compacte, hérissée de pics et tentent vainement de l’intimider et de la provoquer pour briser sa cohésion. Lorsqu’ils se replient, les Egyptiens sont harcelés par les miliciens qui depuis les hauteurs abattent 42 hommes, 17 chevaux et au final font 4 prisonniers.
Le mur
Les troupes formées en carré sont appelées Muro (rempart). Cette formation est utilisée pour placer les bagages au centre de la troupe à l’approche de l’ennemi. D’après Alphonse, seule une partie des troupes assure cette fonction tandis que le reste s’avance « librement » pour combattre. Richard utilise ce type de formation pour protéger ses cavaliers lors de la bataille d’Arsouf, leur permettant d’être à l’abri et de pouvoir se reposer entre deux charges (à noter que ses troupes avancent ainsi entre Acre et Arsouf...) A priori cette technique est principalement utilisée en Espagne et en Palestine. Comme pour les tours, les angles sont une faiblesse…
Le coin
Les soldats sont placés en une seule masse dont la formation est aigüe du côté de la tête et large du côté de la queue. Cette formation est utilisée contre un adversaire en rangs serrés et nombreux, mais laissons parler Alphonse : « car par cette manœuvre un petit nombre d’hommes peut triompher d’un grand nombre. Pour composer le coin, il faut procéder de la manière suivante : on place au premier rang trois combattants ; derrière eux, six ; à la suite 12 ; puis 24 ; et en doublant ainsi on accroît la formation suivant l’importance de la compagnie. Mais si l’on a qu’un faible effectif, on peut placer en tête un seul homme ; on le double avec 2 seulement ; le rang suivant est de 4… ». Si le coin fonctionne, les troupes perforées refluent en désordre vers leur cavalerie et gênent, pour ne pas dire empêchent son action. C’est vraisemblablement ce qui arrive à Philippe II et à la cavalerie de son unité lors de l’assaut des fantassins Flamands à Bouvines. L’infanterie Brabançonne utilise aussi le coin en 1213 à la bataille de Steppe, mais sans succès.
La clôture
Les troupes formées en carré avec un vide au centre de la formation sont appelées Cerca ou Corral (clôture). Cette formation a pour objet de protéger la personne du Roi. Les hommes sont placés sur trois rangs successifs et attachés entre eux par le pied afin d’éviter toute tentative de fuite. En avant de cette formation est placée une palissade défendue par des pieux. Les hommes ont ordre de planter leur lance en terre dirigée vers l’ennemi. Des archers et des arbalétriers sont placés en arrière de cette formation. La « clôture » sert de point de ralliement en cas de coup dur pour le reste des troupes afin de mieux repartir à l’assaut. L’Emir Mehemet-el-Nazir utilise cette formation à la bataille de Las Navas de Tolosa. A priori l’utilisation de cette formation semble très rare.
Les ailes
On appelle Alas (les ailes) les troupes peu nombreuses qui protègent les flancs (surtout valable pour la formation en haie). En Espagne, on les nomme également Citaras ou Acitaras (les cloisons). Leur rôle est de combler les espaces si leurs corps d’armées viennent à trop s’écarter afin que l’adversaire ne s’y engouffre pas. Par contre si le front est resserré elles attaquent les flancs de l’adversaire.
L’attroupement
Les troupes sans formation régulière et effectifs fixes sont appelées Tropel (attroupement). Ces troupes sont utilisées pour rompre la ligne adverse, prendre l’adversaire à revers tandis qu’il attaque leur armée sur le flanc et envoyer des secours vers les lignes de bataille rompues.